Histoire et Importance de l’Espace Consacré à la Table à Travers les Âges

Histoire et Importance de l’Espace Consacré à la Table à Travers les Âges

Introduction

La table, bien plus qu’un simple mobilier ordinaire, s’est développée à travers les âges pour devenir le support du besoin premier : se nourrir. Au cœur de notre fonctionnement, elle se dresse comme l’emblème de notre civilisation. Cet article a pour but d’éveiller la considération de l’espace au service de la table. La dimension de la table, tant symbolique que physique, demande une place considérable au sens propre de toute architecture.

1. Une première pour la table.

La forme primitive de la table : l’autel religieux.

Pour comprendre comment la table s’est établie dans un espace bien particulier, une remontée temporelle est nécessaire. La table apparaît selon moi, sous les traits des autels au cœur des lieux de culte. C’est alors, un meuble « ostentatoire »1, souvent en pierre, qui accueille sous l’Antiquité les sacrifices des fidèles.

Déposés sur cet autel, les dieux peuvent se délecter des offrandes soigneusement disposées et présentées. Cette tradition permet au demandeur de recevoir les compliments des dieux et par conséquent une ou plusieurs faveurs. De cette pratique, serait né notre appétit à la présentation. Une tendance qui sera à son apogée sous le Moyen-âge, mêlant ainsi présentation et trompe l’œil.

Pour revenir à l’architecture des espaces, cette table particulière prend sa place initialement au cœur des temples, dans les lieux les plus sacrés de l’édifice, un espace exclusivement réservé aux prêtres : le « naos » (chez les Grecs et dans l’Égypte ancienne), ou encore dans le « chœur » (chez les catholiques). Directement reliée à la spiritualité, la table n’appartient pas au commun des mortels. Seuls les puissants ou membres reconnus de la religion s’y voient la possibilité de la retrouver pour les cérémonies dans la salle des offrandes (salle repérée par la lettre L sur le plan du temple égyptien ci-joint).

La table reste tournée vers l’élite pour se voir conduite dans leur sépulture. Les croyances de cet âge vouent à enterrer avec les défunts, de la nourriture pour permettre à l’âme de survivre pendant son voyage jusqu’à l’arrivée promise de la vie après la mort. Cependant, il est certain que beaucoup de ces défunts sont des personnalités de l’époque. Le coût de la nourriture et de la production de tombeaux suffisamment grands, sont des points qui entravent son accessibilité au commun des mortels.

Stèles de Néfertibt, bas-reliefs et peinture sur calcaire, 2905-2533 av. J.-C., conservée au Musée du Louvre

Le premier espace pour la table dans la vie quotidienne.

La première forme de salle exclusivement destinée à la table apparaît sous la Rome Antique : le triclinium. Elle élargit la présence de la table, toujours dans la spiritualité, mais également dans la vie quotidienne de tous citoyens. Cet espace incarne la superposition des « mondes ». Richement décorée, la salle reconstitue la vision religieuse de l’époque.

Ainsi, le plafond couvert de fresques témoigne du monde céleste et de l’omniprésence des dieux. Le sol représente le monde des morts, de « l’après ». Ensuite, le monde vivant, physique s’incarne par les trois banquettes, qui accueillent le dîner en position semi-allongée.2 Un fait intéressant des manières de table romaine s’explique par cette retranscription spirituelle, les restes de repas, de bouchées, sont jetés au sol. Ce geste marque l’intérêt porté aux défunts de la maison et l’entretien du souvenir.

Autour de ces trois assises, prennent place des guéridons ; des petites tables basses qui permettent de prendre les mets avec plus de facilité, sans se redresser. Il est certain que la position semi-allongée ne permet pas aisément d’atteindre les mets disposés sur une longue table rectangulaire, la forme classique par excellence.

Par conséquent, ce premier travail sur la table illustre la volonté d’allier le confort et l’utilité. Par ailleurs, il envoie un message fort dans le dessin même de la table en tant qu’objet, à savoir, la soumettre à son usage et non pas à son symbole. La table devient un outil du repas, la praticabilité prend le dessus sur l’ostentatoire.

Repas antique, bas-reliefs, 1500-1600 ap. J.-C., Italie, conservé au Musée du Louvre

2. Moyen-âge : des espaces au service des convives.

Le temps du Moyen-âge invite à une nouvelle façon de manger et par conséquent de se mettre à table. Certainement hérité des façons barbares, les convives se redressent pour prendre une place assise, devant la table ou ce qui s’en apparente. La table, en tant que meuble, ne prend toujours pas de forme. Un système de plateaux et de tréteaux s’installe et se généralise dans la société occidentale. Plus pratique à adapter au nombre de convives, ce système s’impose par une installation simple, dans des milieux différents, aussi bien en extérieur que dans chaque pièce des châteaux.

Scène de séduction dans un banquet par Jean Pichore, vers 1500-1510, Paris, Musée du Louvre

Par conséquent, les espaces ne s’adaptent pas à la praticabilité et à l’organisation de banquets. Les cuisines des palais, seules habitations à en posséder3, se trouvent en sous-sols pour éloigner le bruit et les odeurs. Cependant, parfois bien trop éloignées des espaces de réception, des astuces se développent pour maintenir les plats au chaud : mettre le couvert. Cette expression est directement engendrée de cette volonté. Mettre le couvert est en réalité draper les plats dans un linge plié et noué pour les garder au chaud. Un autre fait important sous le Moyen-âge est l’utilisation de poisons. Ainsi, fermé par le linge, les plats sont préservés des mauvaises intentions. Par la suite, l’écuelle couverte, un récipient agrémenté d’un couvercle, prendra le pas sur le linge, réalisée avec des matériaux plus nobles tels que l’étain ou l’argent.

Écuelle couverte en orfèvrerie par Marcelin Marcault, en argent, avant 1771, Paris, Musée du Louvre

L’heure est à l’amusement

La célébrité des repas médiévaux demeure dans le divertissement proposé aux convives. En effet, les jongleurs, fous ou encore dresseurs d’ours sont un régal pour les yeux, au même titre que les mets et gourmandises. Dans cette dynamique divertissante du repas, qui impose un faste notoire et onéreux, la table met en son centre le spectacle. Ainsi, le système plateau/tréteau se développe en forme de « U » afin de valoriser la visibilité des convives. De plus, cette disposition organise la hiérarchie sociale imposée par le placement à table. Au centre, prend place l’invité d’honneur ou le maître de maison pour trouver, sur sa gauche et sa droite, la descente sociale.

Rythme et précision

Cette forme permet également de simplifier le service. Dans la France médiévale, le repas est assuré en un minimum de 6 services, chacun chronométré. L’abondance de plats doit trouver sa place sur la table en fonction de son rang social. L’art de la découpe est très important dans la démonstration des talents des écuyers. Par ailleurs, un ouvrage est paru pour illustrer et décrire les bonnes manières de découpe : « L’art de trancher la viande et toute sorte de fruits à la mode italienne et nouvellement à la françoise » par Sieur Jacques Vontet, Ecuyer tranchant, apparu vers 1650 à Lyon.45

3. De la Renaissance au Grand Siècle : une voie vers l’instauration de la table

Des espaces encore trop modulables

Sous la Renaissance, le modèle médiéval persiste. La praticabilité du système de plateau et tréteaux conserve le monopole des usages de recevoir et de dresser la table. La confusion peut même régner sur la réelle utilisation des espaces. La vision de ces derniers est moins drastique et fonctionnelle que notre regard actuel. Les espaces trouvent leurs qualités dans l’exposition, dans le cadrage avec les jardins, sous la hauteur des plafonds en fonction de la saison… Ainsi, pour un repas plus intime, les chambres sont des lieux d’accueil et de réception. Les galeries et les extérieurs sont les espaces adaptés pour les grands banquets au nombre de convives plus élevé.

Les femmes à table en l'absence de leurs maris par Abraham Bosse

Une arrivée tardive

La table en tant que mobilier « apparaît en France au début du XVIe siècle, importée d’Italie »7. Sa présence dans les grandes demeures aristocratiques est avant tout décorative. Issue d’un artisanat, elle témoigne d’un savoir-faire qui ne peut être dissimulé sous une nappe ou souillé par du vin… Toutefois, sa déclinaison pour des usages précis voit le jour avec l’arrivée des pratiques de la Cour par les jeux de salons. Chaque jeu est affilié à sa table.

Pour se recentrer sur son usage gastronomique, les boissons en vogue, telles que le thé ou le chocolat, aident également la table à s’installer, dans un premier temps de façon modeste avec un bout de divan ou un guéridon. Pour l’usage du repas, il faudra attendre encore un peu, car la vie mondaine est faite de bals et de festivités, qui demandent soit des buffets, soit des grandes tablées bien plus longues que les tables fabriquées de l’époque.

L’étiquette, une percée vers son instauration

Pendant l’apogée du règne des Bourbon, le modèle de la Cour fait loi pour la table. Il apparaît certain que résumer l’étiquette de la Cour et l’évolution complète de la table en un article n’est pas suffisant, toutefois des éléments sont à retenir. Ce meuble emblématique et indispensable aujourd’hui pour la prise du repas, montre son usage. Louis XIV prend son « dîner »8 dans ses appartements. Une table carrée est installée pour y dresser le repas, qu’il prend seul, « le petit couvert ».9 Le soir, « le Grand Couvert », est un repas pris en public. À table, le roi et ses proches (la reine, les princes, mesdames et messieurs les sœurs et frères du roi) s’installent autour d’une table installée dans l’Antichambre de la Reine ou du Roi. Debout, en audience, les courtisans les plus appréciés de la famille royale prennent place. Le spectacle du repas commence…

Louis XV et son influence

Nous trouvons la table installée dans un espace par la demande de Louis XV. C’est avec certainement une volonté de sérénité et de tranquillité que Louis XV demande une salle attitrée pour prendre ses repas. Ainsi, la salle à manger naît. Ce geste fort dans la construction de notre vie quotidienne moderne demeure. Proche des appartements du roi, la salle à manger se complète de la salle des buffets, qui accueille toutes les porcelaines royales. Du dressoir médiéval, l’apparat se fait par cet espace qui sera également un lieu de négociation des porcelaines de la Cour. Une seconde salle sera aménagée, proche des jardins pour ne pas subir les chaleurs estivales.

En quête d’intimité

La salle installe la table, mais le besoin d’intimité est à l’origine de cette mutation de la façon de passer à table. En effet, Louis XV justifie cette avancée par la volonté de recevoir ses partenaires de chasse plus simplement à leur retour, loin des yeux de la Cour. Assurément, sa relation avec Mme de Pompadour engage cet élan pour l’intimité. Sous une époque libertine, Louis XV développe ce concept au château de Choisy-le-Roi. À l’abri des regards, dans un petit pavillon, une table volante est installée par le mécanicien Guérin, pour libérer le roi du service des domestiques. Par un système mécanique, la table descend au niveau inférieur pour être dressée par les serviteurs. Dans le cas de Choisy, le plateau est amovible, ce qui permet un service plus rapide, par un simple changement de plateau préparé en amont par les domestiques. Une fois le service suivant installé, la table remonte à la grande surprise des invités.

Triptyque de la table volante de Louis XV, développé au petit château de Choisy-Le-Roi, extrait de la vidéo 'Les intérieurs du château de Choisy-le-Roi', octobre 2017

4. L’évolution de la table et de ses espaces

Une généralisation de la table…

Le XVIIIe siècle se voit comme vecteur de l’institutionnalisation de la table dans la vie quotidienne au travers de son implantation spatiale. La salle à manger, réservée aux grandes demeures et à Versailles, se généralise dans les plans des architectes. Les travaux d’Eugène Viollet-Le-Duc dirigent la conception architecturale vers la présence de la salle à manger en relation avec les autres espaces de la maison10, notamment l’office. Héritière de la salle des buffets, l’office est une salle réservée au personnel de maison qui transite entre les cuisines et la salle à manger. Elle donne son nom au service même, l’office étant la pratique domestique de l’époque. Cette salle conserve les précieuses porcelaines de la famille et permet de dresser certains mets avant de les proposer sur la table des maîtres de maison. C’est également le lieu où le majordome décante le vin en carafe, où la sauce est ajoutée à un plat, un espace avant le « coup d’envoi » en quelque sorte…

… vers une nouvelle dimension

Ces espaces ont montré leurs atouts avec la prédominance du service à la Française, qui prône la présentation des différents plats sur la table. Mais l’arrivée du service à la Russe, remet en cause l’intérêt de ces espaces. En effet, avec un dressage sur assiette, l’office perd son intérêt. De plus, le XIXe siècle amenant avec lui la fin de la domesticité et la chute considérable de personnel de maison, les espaces sont requalifiés à d’autres usages. Les nouvelles constructions ne proposent plus d’espaces de service hormis la cuisine et le garde-manger (arrière-cuisine), le foncier est coûteux, l’époque n’est plus à l’exubérance et à l’abondance.

Par ailleurs, ce manque de personnel conforte la position de la table dans l’espace. Le système de tréteaux demande une grande manutention en fonction du nombre de convives, qui détermine la longueur de la tablée, et le lieu de réception en fonction de la distance du lieu de stockage. Ainsi, la table demeure au centre de la pièce, la vouant à un usage unique. De la même façon, l’espace se charge en mobilier. L’accessibilité et la praticabilité sont deux éléments essentiels qui émergent dans les réceptions. Ainsi, les services se rangent dans les buffets, les dessertes complètent le service, les serviteurs muets présentent à la place d’employés qualifiés.

Enfin, le modèle américain oriente la vie de famille sur le chemin du nouveau. La salle à manger s’ouvre sur les autres espaces, notamment la cuisine (américaine). Le modèle de la « bonne épouse », de la « ménagère » dicte le pas sur la façon de tenir la maison et par conséquent de recevoir. Cependant, la sortie de la guerre et l’indépendance que vont acquérir les femmes pour sortir de ce schéma, vont stimuler la recherche. L’électroménager, les nouveaux matériaux (Comme la mélamine) seront un nouvel axe de la table, qui est encore actuellement dynamique pour la profession fleurissante la table depuis les premiers restaurants du XVIIIème siècle.

Notes :

  1. Référence à la nature démonstrative et imposante des autels religieux.
  2. Cette pratique romaine se retrouve dans les textes et illustrations de l’époque.
  3. Seules les grandes demeures et les palais possédaient des cuisines dignes de ce nom.
  4. Ouvrage notable du XVIIe siècle sur l’art de la découpe à table.
  5. Sieur Jacques Vontet, « L’art de trancher la viande et toute sorte de fruits à la mode italienne et nouvellement à la françoise », vers 1650, Lyon.
  6. Période couvrant les règnes de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI en France.
  7. Viollet-Le-Duc, architecte et théoricien français, XIXe siècle.
  8. Louis XIV prenait ses repas en plusieurs services dans ses appartements.
  9. Le « petit couvert » désigne un repas intime pris seul ou en petit comité.
  10. Eugène Viollet-Le-Duc a influencé la conception des espaces de vie avec ses travaux et écrits.

Bibliographie

Ouvrages :

  • BIRLOUEZ Eric, A table avec les grands personnages de l’histoire, aux éditions Ouest-France, juin 2018, Paris.
  • HINOUS Pascal et MAILLARD Jacqueline, Histoires de table, aux éditions Flammarion, novembre 1989, Paris.
  • LATREMOLIERE Elisabeth et QUELLIER Florent, Festin de la Renaissance, Cuisine et trésors de table, paru aux Somogy éditions d’art, Paris, juin 2012.
  • Sieur VONTET Jacques, L’art de trancher la viande et toutes sortes de fruits, aux Beaux-Arts de Paris éditions, Paris, 2013.
  • QUENEAU Jacqueline, La Grande histoire des arts de la table, aux éditions Aubanel, Paris, 2006.
  • Versailles et les tables royales en Europe, XVIIème-XIXème siècles, aux éditions de la Réunion des musées nationaux, Paris, 1993.

Article de revue :

  • DE ROCHEBRUNE Marie-Laure, Une « pièce des Buffets » comme cabinets des.

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